Comment écrire un livre drôle, intelligent, décalé et terriblement politiquement incorrect ? Timur Vermes en fait une démonstration magistrale avec Il est de retour. Le point de départ : par une belle journée de 2011, Hitler se réveille d'un sommeil de 70 ans au milieu d'un terrain vague. D'abord outré par ce qu'il constate (une femme au pouvoir, plus de salut nazi dans les rues...) il finit par s'adapter à cette époque nouvelle, jusqu'à devenir humoriste satyrique pour la télévision. Car l'important, c'est bien de diffuser ses idées au plus grand nombre, non ? Tout juste a-t-il à s'habituer à un vocabulaire renouvelé (« - Il faut savoir qu'avec un ordinateur vous avez toutes les polices dont vous avez besoin. / - Pour la police, j'ai déjà la Gestapo ».) et à la réorganisation du monde.

Il ne tolère donc que les Verts qui protègent « ces montagne bavaroises et ses forêts si chères à son coeur » et ne s'étonne pas d' « apprendre que le Suédois enregistrait d'énormes succès grâce à la fabrique de meubles en pièces détachées (...) Le Suédois, dans son petit Etat de voyous -comme l'a dit Himmler-, est de toute façon toujours à la recherche de bois pour faire du feu ou autre. Rien d'étonnant donc que, de temps en temps, il en sorte une chaise ou une table. ».

Un livre qui entraîne peu de réactions neutres : on adore ou on déteste ! Nous, on a adoré la façon dont l'auteur parvient à aborder un sujet si sérieux en posant de vraies questions (ne suffit-il pas d'un orateur charismatique qui choisit le bon canal pour faire passer n'importe quel message ?) avec un ton si léger.

 


Un sujet qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler Après minuit d'Irmgard Keun. Ecrit en 1937 alors que son auteur est d'ores et déjà inscrite sur la liste noire des autorités nazies depuis 1933, le roman brille par sa clairvoyance. Comme le souligne Eric-Emmanuel Schmitt dans la préface « on a plusieurs fois le réflexe de vérifier la date (…) tant y règne une intelligence des faits qui demanderait normalement du recul ». Car Après minuit raconte l'histoire de Suzanne Moder, dite Suzon, jeune fille allemande qui vit à Francfort en 1936.

Fine observatrice, elle pose des questions auxquelles personne ne veut répondre. Malgré l'euphorie environnante, elle ne comprend pas l'engouement autour d'Hitler, des SS et des SA. Tout juste s'en sert-elle pour s'en moquer, à ses risques et périls. C'est d'ailleurs ce qui est troublant dans ce roman : l'humour et la (fausse) légèreté au milieu des tensions et de la peur. « Après minuit est un roman sur le bruit. Trop de paroles, trop de slogans, trop de discours, trop de chansons, trop de musique, trop de Heil Hitler envahissent la vie -et le récit- de Suzon » résume Eric-Emmanuel Schmitt.

L'occasion aussi, dans cette préface, d'en apprendre plus sur l'auteur, reconnue dans les années 30, oubliée ensuite, proche de Joseph Roth et de Stefan Sweig, exilée après un procès perdu contre la Gestapo, féministe avant l'heure qui va jusqu'à mettre en scène son suicide pour revenir clandestinement en Allemagne et décédée en 1982. Un personnage peut-être plus fascinant encore que son roman.