L'effet papillon

Premier spécimen de ces visites, un brin décalées : les Balades Urbaines. Nous sommes dans le 8e arrondissement de Lyon, quelque part entre l'Institut Lumière et le quartier des hopitaux (pour ceux à qui l'administratif découpage ne parlerait que moyennement). Ce titre à première vue anodin dissimule un puissant phénomène. Comme vous le savez, avec un seul "L", une balade peut être définie comme "une déambulation poétique". Mais attention, il suffit d'un 2e "L", et une ballade devient "un poème en mouvement"... Un simple battement d'L pourrait-il donc déclencher un bouleversement des visites à l'autre bout de la ville ?

Réponse à découvrir du 22 au 28 juin : à travers 3 types de promenades (dans des quartiers différents, à des heures distinctes du jour et de la nuit), le NTH8 (Nouveau Théâtre du 8e) vous propose durant 1h30 "d'arpenter un territoire de ville comme on n’a jamais pu le faire, redécouvrir sa ville (...) en quête d’enfance, ou d’histoires, suivre des frontières ou des seuils invisibles (...) et suivre son inspiration comme si le fait de tourner à gauche ou à droite constituait déjà un acte essentiellement poétique"...

A noter également qu'auparavant, le NTH8 vous propose une tout aussi mystérieuse Nuits Chimères et autres bêtes à poils, consacrée aux métamorphoses : avec des pièces de théâtre, des formes chorales, des solos d’acteurs, des déambulations, des menus théâtre drive-in, et des massages, à boire et à manger bien-sûr, des concerts, des jeux (dont un certain "stand touche-truffe"), un atelier de fabrication de chimères... Cela se passera le 12 juin, de 21h30 au petit matin.

Place de la Croix-Rousse, tout commence autour de la statue de Jacquard. Là, 2 bonshommes en tenue bleue de chefs de gare donnent de la voix : Gérard Rigaud (le même qui officie ici-même tous les dimanches à 11h comme "crieur publique") et Jacques Duplat (clown dans les hopitaux le reste de la semaine). Aux chineurs de bonnes affaires ou de beaux légumes, les 2 comédiens proposent tout un étal d'histoires à emporter. Plus ou moins fraîches d'ailleurs, certaines datant de l'invasion de Lyon par le peuple Burgondes en l'an 457... et d'autres cherchant une explication "historique“ à un tag récent sur un mur ! On le comprend dès les premiers pas : ces deux guides non-officiels sont si amoureux de leur Croix-Rousse, qu'ils ont inventé pleins d'histoires rien que pour elle !

Et ils sont prêts à les partager avec tout ceux prêts à poser "un nouveau regard" sur ces traboules et ces bâtiments que nous pensions pourtant connaître... Durant 1h30, nos pas (parfois même chorégraphiés !) nous mènent depuis le Gros Caillou (à elle-seule, le véritable récit de sa présence incongrue, ainsi que le rite à effectuer pour réveiller "les gènes burgondes qui sont en vous" sont un grand moment !), en passant par la Montée Saint-Sébastien (où l'on y apprend l'improbable raison des étranges rainures du trottoir). Aux abords de la place Colbert (et de son incontournable bar la Fourmi Rouge), le bleu de leur tenue vire au rouge et l'instinct libertaire se réveille en passant devant une sorte "d'arbre à caméra de surveillance" (d'ailleurs, si le groupe est amené à en croiser d'autres sur son chemin, il n'est pas impossible que d'autres types de chorégraphies soient exécutées...).

S'ensuit l'incontournable cour des Voraces, où la présence d'un discret bouquet de fleurs est lyriquement décryptée, puis une source aux pouvoirs insoupçonnés, avant une vierge Marie belle et bien affublée d'un drapeau rouge, au passage nous est révélé un secret architectural de la Montée de la Grande-Côte, et enfin, un anneau de pierre du Parc Sutter : de multiples petits détails, de ceux qui deviennent aussi rapidement invisibles qu'un quartier nous est familier, héritent soudain d'un destin. Que celui-ci aient une véracité avérée, suspecte ou totalement fictive, ces histoires atteignent leur but : nous ne passerons désormais plus devant elles sans qu'elles reviennent à nous et soient à nouveau transmises.

Tout cela au fil d'une visite où la connivence grandit rapidement au sein du groupe, avec une mise à contribution des malheureux habitants qui auront "la malchance" de passer par là, et avec au final une invitation dans un chaleureux bouchon pour partager un pot lyonnais : une contribution efficace et rieuse pour que la Croix-Rousse demeure cette partie "tellurique" de Lyon.