Abbas Kiarostami
Des chefs-d’œuvre (Le Goût de la cerise, Au travers des oliviers, Le Vent nous emportera) et des travaux inédits (des films sur l’enfance et le système éducatif en Iran) de cet artiste espiègle, souvent radical, tourné vers l’enfance.
Né à Téhéran en 1940, diplômé des Beaux-Arts, Abbas Kiarostami débute sa carrière comme réalisateur de films publicitaires. En 1969, il participe à la création du département cinéma de l’Institut pour le développement intellectuel des enfants et jeunes adultes, le Kanoon. Grâce à cette structure inédite, Abbas Kiarostami bénéficie d’un cadre unique pour expérimenter en matière de cinéma et rapidement développer un style qui lui deviendra caractéristique, à la fois bouleversant et d’une grande liberté formelle. Au sein du Kanoon, il réalisera 18 films très aboutis, à vocation civique et pédagogique.
De son premier court métrage Le Pain et la rue (1970) au long métrage Devoirs du soir (1989), Abbas Kiarostami va s’intéresser au monde de l’enfance en développant un style unique, entre documentaire et fiction, qui participera au renouvellement du paysage cinématographique iranien. Son cinéma chaleureux et poétique laisse toutefois entrevoir la pesanteur de la société iranienne depuis la révolution islamique de 1979. Cette première partie de la carrière du réalisateur s’achève en 1994 avec Au travers des oliviers, dernier volet de ce que la critique de cinéma désignera comme « la trilogie de Koker » (village du nord de l’Iran dévasté par un tremblement de terre en 1990), avec les films Où est la maison de mon ami ? (1987) et Et la vie continue (1991).
Depuis, en presque cinquante ans de création, Abbas Kiarostami s’est imposé comme un auteur majeur de sa génération. Cette rétrospective présentera également les chefs-d’œuvre qui l’ont rendu célèbre dans le monde entier comme Close-up (1990), Et la vie continue (1991), Au travers des oliviers (1994), Le Vent nous emportera (1999) ainsi que la Palme d’Or en 1997 Le Goût de la cerise.
Un artiste total qui a magnifiquement ouvert la voie à toute une génération de cinéaste iranien.
Au programme
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Le Pain et la rue (Nan va kutcheh, Iran, 1970, 12min, N&B) Celui que Kiarostami nomme « la mère de tous mes films » débute à la manière d’une anecdote, un regard léger sur un jeune garçon qui chemine dans des ruelles de Téhéran en portant du pain. L’Enfant, ainsi qu’un vieil homme qu’il aperçoit et auquel il emboîte le pas, vont devenir parties intégrantes des futurs films de Kiarostami, tout comme l’usage des « temps morts », le voyage comme structure et l’articulation poétique de l’espace.
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Récréation (Zang-e tafrih, Iran, 1972, 15min, N&B) Puni à l’école après avoir cassé une vitre, un garçon se joint à la cohue des élèves qui s’égaillent bruyamment dans les rues de Téhéran. Il participe brièvement à une partie de football improvisée, qu’il interrompt en volant le ballon et en s’enfuyant avec… Dans ce film à l’atmosphère mélancolique, dénué de dialogue mais employant continuellement des sons concrets asynchrones, Kiarostami élargit son vocabulaire visuel avec des zooms, des plans filmés à la grue ou depuis un hélicoptère. |
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Expérience (Tajrobeh, Iran, 1973, 56min, N&B) Basée sur une histoire d’Amir Naderi (coscénariste du film), cette tranche de vie suit les efforts d’un garçon de 14 ans pour survivre dans la grande ville : il fait le serveur de thé, l’assistant dans un studio de photographie et le coursier, et échange quelques brefs regards avec une jolie jeune fille de la bourgeoisie... Sans musique, pauvre en dialogue et riche de sombres et élégantes compositions visuelles, le film propose une médiation impressionniste sur la solitude adolescente. |
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Le Passager (Mossafer, Iran, 1974, 1h14, N&B) Le premier long métrage de Kiarostami s’attache à un garçon d’une ville de province qui a tellement envie d’aller à Téhéran pour assister à un match de football, qu’il va mentir à des adultes et tromper d’autres enfants… Ce film de quête, qui est aussi l’étude d’une obsession juvénile, est filmé dans un noir et blanc contrasté et avec une énergie tranquille qui épouse celle de son protagoniste. On y trouve une fin à l’ironie mordante, et l’une des meilleures performances d’enfant des premiers films de Kiarostami. |
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Moi aussi je peux (Manam mi-tunam, Iran, 1975, 5min, coul.) C’est le premier film de Kiarostami pour les enfants, et non à propos d’eux : une tentative de combinaison entre prises directes et animation, réalisée en collaboration avec l’animatrice Nafiseh Riahi. Deux écoliers regardent des vues animées d’animaux en action : un kangourou qui saute, un poisson qui nage, etc. L’un des garçons (joué par Kamal, le fils de Riahi) s’exclame : « moi aussi je peux » et il les imite. La musique est alerte, l’humeur cocasse. L’autre garçon est joué par l’un des fils de Kiarostami, Ahmad. |
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Deux solutions pour un problème Un simple conte moral qui semble préfigurer Où est la maison de mon ami ? : deux écoliers sont amis jusqu’au moment où Dara rend à Nader son cahier, déchiré. En représailles, Nader fait la même chose, déclenchant une escalade de violence qui a pour conséquence la destruction de leurs affaires et des blessures physiques. Dans la seconde solution, Dara prend conscience de sa faute et répare le cahier, ce qui préserve la paix et l’amitié entre les deux garçons. L’ensemble est essentiellement filmé en gros plans et accompagné d’un narrateur qui commente l’action sur un ton laconique. |
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Le Costume de mariage Dans une galerie marchande à trois étages, un adolescent qui travaille chez un tailleur est harcelé par deux autres garçons qui, pour un soir de sortie, veulent emprunter un costume neuf avant qu’il ne soit donné à son propriétaire… Ce drame d’une grande acuité est l’un des plus aboutis et finement racontés parmi les films réalisés par Kiarostami au Kanoon. On y retrouve du suspense, de la satire, une violence souterraine, et même un spectacle de magie. |
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Documentaire Commande du ministère de l’Éducation, ce documentaire réalisé durant les dernières années de la dynastie Pahlavi contient des entretiens avec des officiels qui, sans surprise, font les éloges de la noblesse, du caractère sacré et respectable de l’enseignement. Les enseignants eux-mêmes sont moins candides ; l’un d’eux parle d’ingratitude des élèves et de la faiblesse du salaire. |
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Documentaire Ce film extraordinaire réalisé en 1979, peu après le renversement du Shah, est comme un test de Rorschach pour ceux qui avaient alors la révolution en tête. Kiarostami met en scène deux versions d’une même situation disciplinaire dans une salle de classe (dans l’une, un élève dénonce un camarade perturbateur ; dans l’autre, sept élèves refusent de parler) puis demande à plusieurs autorités adultes de tirer les conséquences de chaque version. Les réponses, fascinantes, rejouent le conflit entre respect de l’ordre et résistance. |
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Ordre ou désordre (Beh tartib ya bedun-e tartib, Iran, 1981, 17min, coul.) Le premier plan montre des élèves qui descendent un escalier dans le calme et en ordre ; le deuxième reprend la même action sous la forme d’une ruée chaotique. Séparées par des claps et la voix de Kiarostami qui lance « Moteur, ça tourne », les séquences suivantes déroulent la même dichotomie de comportements dans une cour, dans un bus scolaire et dans quelques vues en plongée sur le trafic désordonné de Téhéran. Kiarostami décrit son court métrage comme « un véritable film éducatif », mais il ressemble plutôt à un aparté philosophiquement décalé. |
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Le Chœur (Hamsarayan, Iran, 1982, 17min, coul.) Un vieil homme se promène dans les rues bruyantes de Rasht. Lorsqu’il enlève son appareil auditif, le son du film s’atténue, imitant le silence qui l’enveloppe. La même chose se répète chez lui et Kiarostami entrecoupe alors ses actions silencieuses avec les cris de quelques écolières, dehors, qui essayent d’attirer son attention… C’est une nouvelle médiation de son auteur sur les contrastes entre le son et le silence, la jeunesse et la vieillesse, la solidarité et la solitude. |
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Documentaire La fascination de Kiarostami pour la culture de l’automobile à Téhéran se combine à celle pour les usages du pouvoir dans la société postrévolutionnaire, dans ce documentaire sur un agent de circulation qui doit faire respecter des restrictions de trafic au centre de la capitale (dans un quartier proche du bureau de Kiarostami au Kanoon). Cet agent, sorte de rock star dans son petit monde, ne se départ jamais d’une calme autorité face au flux incessant des automobilistes exaspérés. |
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Documentaire Il s’agit du premier des deux longs métrages documentaires que Kiarostami, inspiré par son travail au Kanoon et par la scolarité de ses propres enfants, a consacrés à l’éducation. Le film s’introduit dans une cour de récréation où des garçons chantent et chahutent, mais se déroule surtout dans le bureau d’un surveillant qui doit gérer les retardataires et les problèmes de discipline. Au fil de leurs confrontations avec l’autorité et avec des camarades d’autres quartiers, on peut presque voir la personnalité des enfants prendre forme. |
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Où est la maison de mon ami ? L’humanisme poétique des films de Kiarostami consacrés aux enfants se trouve parfaitement illustré par Où est la maison de mon ami ?, le premier de ses longs métrages à avoir acquis une réputation internationale. Dans le village de Koker, un garçon de l’école primaire qui a par erreur emporté le cahier d’un camarade, se lance dans une quête pour le lui rendre. Les relations de pouvoir fluctuantes entre les adultes et les enfants, et la sensibilité visuelle aigüe de Kiarostami, font de ce film une fascinante fable à multiple niveaux. |
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Documentaire De jeunes élèves sont interrogés par Abbas Kiarostami. Face à la caméra, ils racontent leur vie, le soir, après l’école : les dessins animés, les devoirs avec leurs parents souvent illettrés, les châtiments corporels et les rares encouragements. |
Et la vie continue (Zendegi va digar hich, Iran, 1991, 1h36, coul.) Après un tremblement de terre qui a provoqué la mort de cinquante mille personnes dans le nord de l’Iran en 1990, Kiarostami a fait un difficile voyage sur les lieux pour savoir si les enfants de Où est la maison de mon ami ? avaient survécu. Un an plus tard, il a fait de cette quête un film de fiction dans lequel lui et son fils sont joués par deux acteurs non-professionnels. C’est le premier film de Kiarostami qui prend pour thème le combat entre la vie et la mort, en portant un regard bouleversant sur les lendemains d’une gigantesque tragédie. |
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Au travers des oliviers (Zir-e derakhtan-e zeytun, Iran, 1994, 1h43, coul.) Le troisième film de la tragédie de Koker transforme en fiction le tournage de Et la vie continue. Alors qu’il travaille à une scène de son film, le réalisateur observe la tension entre deux acteurs qui jouent un jeune homme et une jeune femme ayant perdu des parents dans le tremblement de terre. En se penchant sur cette brouille, Kiarostami médite sur les inégalités sociales qui ont survécu à la révolution comme à la catastrophe naturelle. |
Le Goût de la cerise (Ta'm e guilass, Iran, France, 1997, 1h38, coul.) Premier film iranien vainqueur de la Palme d’Or à Cannes, ce drame austère suit un bourgeois de Téhéran qui parcourt en voiture les abords de la ville, à la recherche de quelqu’un qui accepterait de s’occuper de son corps après son suicide. De longues conversations avec trois passagers successifs (un soldat, un séminariste, un taxidermiste) exposent différentes visions de la vie, de la mort et de la liberté individuelle. |
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Le Vent nous emportera Un équipe de télévision de Téhéran arrive dans un village kurde reculé pour filmer une cérémonie funéraire rare, mais se retrouve bloquée lorsque la vieille femme qui devait mourir s’accroche à la vie. Ce drôle de drame aux allures de fable sur les frustrations professionnelles et personnelles, est, d’une manière captivante, le film le plus opaque et allusif de Kiarostami, avec de nombreuses références à la poésie et plusieurs personnages qui restent invisibles. |
Publié le 18/05/2021