Sortir : Parcs, c'est le nom de l'album. On le prononce à l'anglaise ou pas ?
Bertrand Belin : C'est vrai qu'on a la tentation de le prononcer à l'anglaise. Mais je ne sais pas exactement pourquoi... L'album est écrit en français, chanté par une chanteur qui chante traditionnellement en français. Mais c'est pour ça que j'ai choisi ce mot ! Parce que j'ai enregistré l'album en Angleterre et je ne voulais pas ramener un trophée façon « Sheffield by night ». Je ne voulais pas jouer ce jeu du voyageur de retour... Mais j'avais quand même envie d'un petit souvenir. Ce mot avait cette qualité double amusante, avec cette allure de mot contemporain qui n'appartient à aucune langue. En plus, il est assez pauvre sur le plan poétique au premier abord, et puis finalement non... Traditionnellement, pour trouver un nom d'album, on extrait le titre d'une chanson, mais encore faut-il avoir un titre qui puisse correspondre à l'ensemble de l'album. Ce n'était pas le cas ici. Je n'aurai pas pu appeler l'album « Ruines » ou « Comment ça se danse », le programme aurait été un peu déceptif. Mais dans les chansons, le mot « parcs » revient à deux reprises. Alors je l'ai invité au devant de la scène. Et puis quand je l'ai vu, graphiquement, posé en travers du disque, je trouvais que ça fonctionnait bien.

Pourquoi l'avoir enregistré en Angleterre ?
Sur les conseils de mon ami Chet, le directeur artistique de chez Cinq7 (ndlr : son label). Ça faisait longtemps qu'il voulait me faire rencontrer Mark Sheridan, « Shez », un musicien exceptionnel qui vit à Sheffield. Sur mon précédent disque, Hypernuit, j'avais déjà envie de collaborer avec quelqu'un d'autre, de manière à pouvoir prendre un position de recul, avoir une vue plus globale, être un peu plus serein, disponible, pas trop « les mains dans le moteur » en permanence, être plus ouvert en fait ! Histoire de ne pas trop se répéter, bien qu'il y ait des choses inévitables, voire souhaitables à répéter. La collaboration permet de « rafraîchir ». Le fait que ce soit en Angleterre est plutôt fortuit. C'est plutôt lié au fait que Mark Sheridan soit anglais vive à Sheffield. L'avantage, c'est que l'enregistrement a été éclairé d'un certain halo, d'un certain « exotisme » qui permet de prendre du recul sur le contenu des chansons : chanter en Angleterre des chansons françaises, c'est parler une langue étrangère. J'ai fait en sorte que mes obsessions soient bien présentes, Mark Sheridan a apporté son tempérament à la fois très sensible, mais aussi capable d'empoigner les chansons avec un certain manque de précaution. Ce qui est souhaitable ! Il arrive avec sa culture anglaise, sa culture rock et empoignent les chansons. Il évite l'écueil de la précaution, souvent un peu trop visible dans les productions françaises. Qui s'entend peut-être dans mes disques précédents d'ailleurs... Justement, par rapport aux précédents, comment qualifier celui-ci ? Au niveau sonore, l'album est produit de façon assez confortable. Il est très ample, moins âpre, moins « osseux ». Mais sur le plan des textes, il est peut-être plus osseux par contre...

D'où vient cette volonté de l'économie de mots ?
On assiste à un inflation de mots, d'information dans ce monde. Des paquets d'aliments au pub dans la rue, les opinions personnelles sont « planétarisées »... Il est possible que je m'inscrive dans une remontée du courant, avec une envie de décroissance de l'information, une soif de silence sans pétrification, pour laisser de la place aux paroles qui ont de l'à propos.

Comment vous écrivez vos chansons ? Les mots viennent se caler sur une musique ? L'inverse ? Les deux en même temps ?
Les deux en même temps, mais avec une petite avance sur la musique quand même. Comme je n'écris pas les mots, comme je n'en prends note qu'à la toute fin, quand il faut les publier dans le livret du disque, ils peuvent bouger... L'album sort à peine que les mots bougent déjà ! Je ne m'interdis pas de changer des paroles si j'en ai envie... Les textes n'ont pas la vocation d'être lus, mais chantés. Il y a une histoire d'oralité derrière tout ça. Je pense que chaque voix a sa propre capacité à dire certaines choses. Tout le monde ne peut pas dire tout. Certaines choses deviennent évidentes dans la bouche de certains. On ne peut peut-être pas tout dire comme on l'aimerait. Alors tout le monde ne peut pas chanter les chansons de tout le monde ? Si, tout le monde peut, mais pour des résultats très différents !

Vous étiez en résidence au Grand Mix en début d'année. Qu'avez-vous tiré de cette semaine de résidence ?
Nous y étions pour la première étape d'adaptation des chansons à la scène. Nous avons bénéficié de l'espace du Grand Mix, déjà tellement approprié à ce qu'on avait à y faire ! Nous avons été accueillis avec bienveillance, ce qui représente un vrai soutien artistique... Il y avait une sorte de logique, si bien qu'on se sentait chez nous, ce qui nous a laissé le champ libre ensuite. C'était une semaine de découverte car nous avons un musicien qui nous a rejoint cette année, Jean-Yves Lozac'h, bassiste Syd Matters et rencontré l'an dernier. Cette semaine nous a permis de faire connaissance avec lui, ainsi que de programmer « l'ADN » de ce que sera la tournée.

Est-ce qu'il y a une différence entre un concert avant la sortie de l'album et un autre, après ?
Nous avons déjà donné quelques dates avant la sortie de Parcs, où nous jouons quasiment tout l'album, avec quelques anciennes, ce qui permet au public de retomber sur ses pieds et fait « clignoter » un peu l'atmosphère. Mais c'est une ambiance un peu grisante non ? Quand je le vis côté public, j'aime bien découvrir des chansons sur scène. Après, c'est vrai que sentir comme un clameur après quelques mesures, c'est un encouragement assez essentiel sur scène ! Mais je n'y suis pas non plus tellement rompu... Je ne suis pas Johnny, je ne joue pas devant des hordes de fans absolus qui connaissent tout par cœur ! C'est certainement plus facile de jouer devant un public acquis, mais ça ne fait pas forcément de meilleurs concerts. L'important, c'est de ne pas se reposer sur l'affection réelle ou supposée que nous porte le public. Il faut garder cet enthousiasme, cette peur, qui font de cette tournée un voyage intéressant.
 

Bertrand Belin, Parcs, sortie le 27 mai 2013, éditeur cinq7, 14,99 euros.
En concert au Grand Mix (Tourcoing) le 20 septembre 2013.
Le samedi 27 juillet à 20h, théâtres romains de Fourvière, Lyon.